• Argentique

    Si j’avais moins hésité, j’aurais acheté ce magnifique Retinette de Kodak, aperçu dans la vitrine du photographe, rue du Cendrier, un matin d’automne. Avec l’engin en bandoulière, j’aurais pu tirer le portrait de ces cons de canards sur la jetée, au lieu de garder mes mains dans les poches vides de ma Barbour oversize. Qu’avril bourgeonne ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents, les piafs, mais je n’écris ni comme Edith, ni comme Georges Brassens pour vous raconter. A la rigueur, j’aurais pu vous montrer des clichés de ces oiseaux rieurs pas du tout de passage, contrairement à moi. D’habitude si contents de narguer les passants en pataugeant…

  • Le plus beau cul de la galaxie

    Le Pen, j’en ai soupé. Comme tous les Européens de ma génération, j’ai découvert la politique alors que l’icône de la droite populiste réalisait ses faits d’armes les plus marquants. A cette époque, je n’ai pas dix ans lorsque Zebda sort son mythique album Essence ordinaire. Cette année-là, Zidane, Thuram et consorts deviennent les symboles d’une France de Blacks, Blancs, Beurs. Une formule tragique à plus d’un titre, mais les raisons sont alors nombreuses de croire que l’Hexagone n’est pas qu’un pays de flics et de skinheads. Dans Tout semble si, le groupe d’enfants d’immigrés toulousain raconte la poussée du Front national dans certaines villes méridionales. Soyons clair, j’ai grandi…

  • Fantoma’s

    Deux décennies d’apparitions furtives et effroyables comme l’éclair aux derniers quarts de lune, un air marécageux et le tonnerre dans la gorge. La carrière musicale du rappeur genevois A’s – figure charismatique et énigmatique du groupe Marékage Streetz – revêt bien des atours de la Belle Époque. À l’instar de son légendaire alter ego littéraire Fantomas, celui qu’on affuble du nom de « Prince des Ténèbres » sillonne le rap comme les rues de sa ville, clandestinement. Ses textes à la va-comme-je-te-pousse rappellent les Apaches de Belleville ou de la Goutte d’or – petites frappes des bas-fonds parisiens, qui faisaient frissonner d’épouvante passants et lecteurs du Petit-Journal. En ce temps-là, l’argot de…

  • Élégie pour Rocco

    Un être lui manque et la famille est dépeuplée. Ou plutôt, deux êtres. Depuis la mort de son mari, Rosaria Parondi – qui ne s’habille plus que de noir – a quitté la Lucania et le Sud avec ses quatre fils – Simone, Ciro, Rocco et Luca – pour rejoindre Vincenzo, le cinquième et l’aîné de la fratrie, à Milan. Ce soir est un soir de fête. Rocco rayonne. Il vient de remporter son premier combat de boxe et son entraîneur lui promet un avenir radieux. Rocco a signé pour dix ans de carrière, afin d’éponger les dettes et de laver l’honneur de son frère Simone, qui ne vit plus…

  • Santé, Geronimo !

    Le 8 septembre dernier, personne n’a commémoré le cent-cinquantième anniversaire de Sante Geronimo Caserio, né à Motta Visconti (Lombardie), en 1873. Cet anarchiste italien, dont le nom évoque autant le saint que le chef de guerre apache, fut celui qui assassina le président français Sadi Carnot, alors chef de la IIIème République; celle de l’arrogance chauvine au sortir de la guerre victorieuse contre la Prusse; celle qui avait alors réprimé la révolte de la Commune dans une mer de sang; et qui adopterait les lois dites scélérates, contre la liberté de la presse et pour la censure du mouvement anarchiste. Caserio avait vingt ans lorsqu’il donna sa vie pour la…